Au début de la seconde moitié du XXe Siècle, dans les années 1950, 60, 70, lorsqu'une personne en rencontrait une autre sur la place du village ou sur son chemin vers l'épicerie, il arrivait que la connexion entre les deux personnes aille au delà du simple échange de politesses et qu'une conversation ait lieu. De cet échange pouvait émerger de l'information et chaque interlocuteur ou interlocutrice savait faire la différence entre un sujet grave et un sujet plus léger, pour lequel il pouvait s'agir d'un commérage. Libre à chacun de répéter ou non cette information ou ce bruit, il s'agissait du réseau social de l'époque.
Bien entendu, il était comme convenu que si l'information avait un sérieux particulier, drame, accident, voire naissance ou exposition de peinture, elle était une vérité. On ne se posait pas la question de la fiabilité de la source.
Au delà de la radio, la télévision est ensuite devenue le quotidien des gens, et avec elle son journal d'informations télévisées. Sur la place du village ou sur le chemin de l'épicerie, se répétait en plus des sujets locaux, parfois trouvés dans le quotidien régional, les informations entendues à la télévision. J'écris "entendues" parce que souvent, et surtout si l'actualité se passait à l'étranger, on ne voyait rien de particulier sur l'écran en dehors du ou de la journaliste présent(e) sur place.
Ici encore, on ne se posait pas le problème de la fiabilité de la source et l'on pensait que tout ce qui était dit était vrai, nonobstant que l'on ne voyait rien. Et plus le pays était lointain moins on voyait d'images (à dire vrai, plus l'explication était courte). D'ailleurs, dans les années qui s’éloignent, de la Guerre à Bagdad il n'était montré que les tirs de nuit à l'arrière plan du cadre fixe. Ceci dit, à ce moment non plus la question de la fiabilité de la source ne se posait pas.
Sur un autre plan, les circonstances de la disparition sur le terrain de sport de l'école élémentaire de la ville de Victoria au Canada du petit Michael D. âgé de 4 ans est un véritable point d'interrogation. Courant mars 1991 les parents du petit garçon seraient arrivés en sa compagnie vers 12h30. Michael D se serait évaporé sur place, et il n'y aurait personne témoin de sa disparition.(*) Ici la fiabilité de la source c'est les parents.
Le nombre de manifestants
Lorsqu'il est question de démonstrations d'opposition au gouvernement dans un pays démocratique, l'information principale est le nombre de manifestants. De part l'histoire, les défilés dans les rues ne datant pas d'aujourd'hui, on savait que lorsque ceux-ci étaient organisés par des syndicats, le calcul du nombre de manifestants était un petit jeu entre les autorités d'une part et les organisateurs d'autre part, et qu'il suffisait bien souvent de faire la moyenne des deux informations pour s'approcher de la vérité. La fiabilité de la source était dès lors relative à un calcul, ou à une fourchette, notamment parce que la technologie ne permettait pas la diffusion d'images privées en temps réel.
D'un point de vue objectif on peut considérer qu'il s'agit de politique et que chacun était dans son rôle, ceci parce qu'on avait malgré tout confiance, d'une part dans le gouvernement et d'autre part en les syndicats.
Depuis 2017, un certain nombre de polémiques sont nées en France, un certain nombre d'affaires, auxquelles se sont ajoutés le Grand Débat National et la Convention Citoyenne pour le Climat qui ont surtout créés des déceptions. Petit à petit, et encore récemment, la confiance en la parole publique disparait. Elle s'estompe.
Dans ces conditions, alors que la France vit de nouvelles heures de son histoire entre Science expérimentale et Technologie de l'information, que devient le calcul du nombre de manifestants défilant dans les rues des villes sans mot d'ordre émanant de syndicats alors que la parole publique est remise en cause ? Est-il judicieux pour la presse de prendre comme vérité le nombre délivré par le gouvernement dès lors que les images diffusées, qui ne sont plus fixes avec le journaliste au premier plan, montrent ce que l'on peut à minima appeler un déphasage ? La fiabilité de la source ici, n'est-ce pas les vidéos réalisées sur place ?
Au delà du nombre précis de personnes, qui est la forme, le rôle de la presse est-il sur le fond de mépriser les manifestants, de dénigrer leur action ? Il s'agit en très grande majorité de familles, grands-parents, enfants, petit-enfants, dont beaucoup défilent pour la première fois. La politique éditoriale doit-elle avoir un jugement de valeur sur l'événement ? Si oui, la fiabilité de la source pour l'ensemble des autres informations ne serait-elle pas remise en cause ?
Image : Pixabay / (*) Plusieurs contacts tentés sur place sans résultat
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