Quelques jours après la disparition de Mirella Gregori, une seconde adolescente de 15 ans s'évapore à Rome. Son cas, d'une complexité extrême, reste jusqu'ici inexpliqué. La disparition d'Emanuela Orlandi est l'une des affaires les plus suivies par la presse et le public en Italie, et ceci presque quotidiennement.
L'affaire Orlandi est certainement la plus marquante de l'année 1983, au point que la disparition de Mirella Gregori, qui la précède pourtant de 46 jours, passe généralement pour être celle de "L'autre Emanuela". Voici tous les détails.
Avertissement : Cette série d'articles à propos des cas de Mirella Gregori et d'Emanuela Orlandi plonge au coeur d'une affaire complexe vieille de plus de 40 ans. L'objectif est d'apporter un maximum de détails, de reconstituer un puzzle, aussi un grand nombre de sites en Italien ont été consultés, dont plusieurs de premier plan. L'exactitude des informations est fonction de leurs publications.
Emanuela Orlandi est née à Rome le 14 janvier 1968. Elle est l'avant-dernière d'une fratrie de cinq dont les âges en 1983 s'échelonnent de 26 à 12 ans. Son père est greffier de la Préfecture de la Maison pontificale. Elle vit avec ses parents, ses trois soeurs et son frère, qui est l'aîné, derrière le mur d'enceinte du Vatican, dans un appartement de fonction situé au second étage de la Gendarmerie vaticane. Le matin du mercredi 22 juin, les parents d'Emanuela se rendent à Fiumicino, en bord de mer, pour rendre visite à des proches, avec l'intention de revenir un peu avant 20 heures. À leur départ, les enfants sont tous à la maison.
Emanuela doit se rendre à l'école de musique Ludovico Da Victoria, attenante à la Basilique Sant'Apollinare à Rome. La Basilique et l'école sont proches de la Piazza Navona, un endroit très apprécié des touristes. Emanuela suit régulièrement des cours de flûte et de chorale à l'école Da Victoria, et, malgré la chaleur de l'après-midi de ce 22 juin 1983, elle y est attendue parce qu'il s'agit du dernier cours de chorale que doivent suivre les élèves avant le concert de fin d'année scolaire. Ce mercredi, le premier cours d'Emanuela, le cours de flûte, débute à 16h30. Ceci étant, soit à cause de la chaleur, soit parce qu'elle est en retard, elle demande ce jour-là à son frère Pietro de la conduire en moto, mais il ne peut pas à cause d'un autre engagement.
La jeune fille, d'une taille de 1,60 m, a de longs cheveux noirs, porte un collier autour du cou, est habillée d'un jean, d'un t-shirt blanc à manches courtes et de chaussures de sport. Elle tient à la main son sac en cuir marron, d'où sort l'étui noir contenant sa flûte. Dans le sac, elle a également mis ses partitions, sa carte de membre de l'école et sa carte d'abonnement aux transports publics. Mécontente de devoir se rendre en bus à l'école, Emanuela claque la porte en sortant. C'est la dernière fois que ses soeurs et son frère Pietro la verront.
Emanuela Orlandi et son mystère
L'adolescente quitte le Vatican par la Porta Sant'Anna vers 16h. Elle monte, semble-t-il, à bord d'un autobus jaune de la ligne 64 des transports publics Atac. Sur l'autre rive du Tibre, le bus la dépose sur le Corso Vittorio Emanuele II, à proximité de la Basilique de Sant'Andrea della Valle. De là, elle emprunte, comme elle le fait régulièrement, le Corso del Rinascimento pour rejoindre l'école Da Victoria située à l'autre extrémité.
Sur cette voie presque rectiligne, mais pas totalement, se trouve le Palazzo Madama, le Sénat italien. Alors qu'elle parvient à hauteur du Palazzo Madama, vers 16h45, Emanuela Orlandi est abordée par un homme de 35 à 40 ans qui conduit une BMW. L'homme lui fait une proposition pour un travail facile, bien rémunéré, pour le samedi après-midi suivant : distribuer des tracts avec d'autres filles pour les produits de la marque Avon lors du défilé d'une maison de haute-couture très connue à Rome, Sorelle Fontana. Ce "petit boulot" intéresse Emanuela. L'inconnu est aimable et rassurant. Il dit à Emanuela de demander la permission à ses parents et il est patient : Il attendra qu'elle ait terminé ses cours pour avoir sa réponse.
L'homme est aperçu par un agent de la circulation en service devant le Sénat qui le décrira comme étant longiligne, mesurant environ 1,80 mètre, avec les cheveux clairs épars sur le front et les tempes et un visage allongé. La BMW est de couleur sombre, peut-être verte. Le policier voit la scène à une distance d'environ vingt mètres, et il semble distinguer comme un sac ou des échantillons de produits de beauté présentés par une entreprise de cosmétiques.
Enthousiasmée par la proposition de l'inconnu, Emanuela téléphone peu après chez elle, probablement depuis l'une des cabines publiques situées à la station de Taxis. Sa sœur Federica lui répond et Emanuela lui dit que sur le chemin de l'école, dans le Corso Rinascimento, devant le Sénat, elle a été arrêtée par un monsieur qui lui a proposé un travail. Elle lui raconte l'histoire à la hâte : « Je toucherai près de 400.000 lires » dit-elle. Et elle ajoute : « C'est un gentil monsieur, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Il m'a dit de demander la permission à maman et de lui donner une réponse ce soir. Il m'attend à la sortie de l'école». Federica, âgée de 21 ans à l'époque, lui suggère de ne pas faire confiance à l'homme et d'écouter d'abord sa mère. Emanuela lui répond brièvement qu'elle a rendez-vous avec le monsieur à 19h10 devant l'école et raccroche.
Retardée à la fois par sa brève rencontre avec l'homme inconnu et l'appel téléphonique à sa soeur, Emanuela Orlandi rejoint l'école le plus vite possible. Elle monte les marches quatre à quatre. Elle arrive pourtant en retard, et essouflée, à son cours de flûte. Elle entre dans la classe vers 17h10, alors que le cours a déjà commencé et se fait réprimander pour son retard par son professeur. Le second cours, celui de chant choral, se déroule normalement.
Pourtant, Emanuela Orlandi a manifestement l'intention de ne pas quitter l'école après 19h. Elle le précise à l'une de ses camarades, elle demande à partir plus tôt. Elle s'inquiète, parce tout le monde pense que, ce mercredi, les cours vont se terminer plus tard que 19h. Or, ce jour-là, au contraire, les cours finissent plus tôt, à 18h45 au lieu de 19h. Emanuela ne part donc pas avant les autres élèves, elle quitte l'école avec eux à la fin de la leçon de chant choral. Elle descend néanmoins à toute allure les escaliers du bâtiment, passant et repassant rapidement à l'intérieur du groupe d'élèves.
A ce moment-là, rien ne peut la détourner de son rendez-vous de 19h, rien ne peut la dissuader de revoir l'homme inconnu. Parvenue parmi les premières devant la porte d'entrée de l'immeuble Sant'Apollinare, Emanuela attend. À 19h10, elle est vue par le concierge. Aucun homme ne se montre devant l'entrée de l'école. Les minutes passent et finalement Emanuela décide de parcourir à pied le peu de distance entre la porte de l'école et l'arrêt de bus de la ligne 70 le plus proche, sur le Corso Rinascimento, non loin du Sénat.
Raffaella, une autre fille du groupe de choristes, se trouve devant la porte de l'école de musique. Elle dit au revoir à une amie, puis se dirige ensuite vers le même arrêt de bus. Elle rejoint Emanuela sur le court trajet séparant l'école de l'arrêt. Elle parle un peu avec Emanuela. Deux autres filles du groupe se trouvent déjà à l'arrêt de bus 70. Elles discutent ensemble. Toutes ces filles sont aperçues par une autre élève, Laura, qui se dirige vers le sud, le long du Corso Rinascimento. En marchant, Laura se retrourne plusieurs fois par curiosité. A un moment elle voit Emanuela à une vingtaine de mètres derrière elle et distingue les autres filles plus loin.
L'une d'elles est Maria Grazia. Présente depuis peu à l'arrêt du bus 70 et en conversation avec Raffaella, elle y voit Emanuela, maintenant en compagnie d'une autre fille. A 19h20, Maria Grazia monte dans un bus bondé avec d'autres élèves de l'école, dont Raffaella. Celle-ci, de l'intérieur du bus, tente d'apercevoir Emanuela pour un dernier salut de la main.
Laura, arrivée presque au bout du Corso Rinascimento, se retourne à nouveau. A cet instant, Emanuela Orlandi a disparu.
A suivre...
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